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ANNÉE 1767

religion catholique. Tout ce qui était à Ferney fut attendri comme l’avaient été tous ceux qui vous écoutèrent à Grenoble. Je regarde ce discours, et celui qui concerne les causes criminelles, non-seulement comme des chefs-d’œuvre d’éloquence, mais comme les sources d’une nouvelle jurisprudence dont nous avons besoin.

Vous verrez, monsieur, par le petit fragment que j’ai l’honneur de vous envoyer, combien on vous rend déjà justice. On vous cite[1] comme un ancien, tout jeune que vous êtes. L’ouvrage que vous entreprenez est digne de vous. Un vieux magistrat n’aurait jamais le temps de le faire ; et d’ailleurs un vieux magistrat aurait encore trop de préjugés. Il faut une âme vigoureuse, venue au monde précisément dans le temps où la raison commence à éclairer les hommes, et à se placer entre l’inutile fatras de Grotius et les saillies gasconnes de Montesquieu.

Je pense que vous aurez bien de la peine à rassembler les lois des autres nations, dont la plupart ne valent guère mieux que les nôtres. La jurisprudence d’Espagne est précisément comme celle de France. On change de lois en changeant de chevaux de poste, et on perd à Séville le procès qu’on aurait gagné à Saragosse.

Les historiens, qui ne sont pour la plupart que de froids compilateurs de gazettes, ne savent pas un mot des lois des pays dont ils parlent. Celles d’Allemagne, dans ce qui regarde la justice distributive, sont encore un chaos plus affreux. Il n’y a que Mathusalem qui puisse prendre le parti de plaider devant la chambre de Vetzlar. On dit que le despotisme en a fait d’assez bonnes en Danemark, et la liberté, de meilleures en Suède. Je ne sais rien de plus beau que les règlements pour l’éducation des enfants des rois, publiés par le sénat.

La meilleure loi peut-être qui fût au monde était celle de la grande charte d’Angleterre ; mais de quoi a-t-elle servi sous des tyrans comme Richard III et Henri VIII ?

Il me semble que l’Angleterre n’a de véritablement bonnes lois que depuis que Jacques II alla toucher les écrouelles au couvent des Anglaises à Paris. Ce n’est du moins que depuis ce temps qu’on a entièrement aboli la torture, et ces supplices affreux prodigués encore chez notre nation, aussi atroce quelquefois que frivole, et composée de singes et de tigres.

  1. Dans son Homme aux quarante écus, Voltaire cite un passage du Discours sur l’administration de la justice criminelle en France ; voyez tome XXI, page 350.