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CORRESPONDANCE.

pense, ma foi, que vous vous êtes confessé au renard. Je ne sais pourquoi M. de La Borde m’abandonne obstinément. Il aurait bien dû m’accuser la réception de sa Pandore, et répondre au moins en deux lignes à deux de mes lettres. Sert-il à présent son quartier ? couche-t-il dans la chambre du roi ? est-ce par cette raison qu’il ne m’écrit point ? est-ce parce que Amphion[1] n’a pas été bien reçu des Amphions modernes ? est-ce parce qu’il ne se soucie plus de Pandore ? est-ce caprice de grand musicien, ou négligence de premier valet de chambre ?

On dit que les acteurs et les pièces qui se présentent au tripot tombent également sur le nez. Jamais la nation n’a eu plus d’esprit, et jamais il n’y eut moins de grands talents.

Je crois que les beaux-arts vont se réfugier à Moscou. Ils y seraient appelés du moins par la tolérance singulière que ma Catherine a mise avec elle sur le trône de Tomyris. Elle me fait l’honneur de me mander qu’elle avait assemblé, dans la grande salle de son Kremlin, de fort honnêtes païens, des grecs instruits, des latins nés ennemis des grecs, des luthériens, des calvinistes ennemis des latins, de bons musulmans, les uns tenant pour Ali, les autres pour Omar ; qu’ils avaient tous soupé ensemble, ce qui est le seul moyen de s’entendre ; et qu’elle les avait fait consentir à recevoir des lois moyennant lesquelles ils vivraient tous de bonne amitié. Avant ce temps-là un grec jetait par la fenêtre un plat dans lequel un latin avait mangé, quand il ne pouvait pas jeter le latin lui-même.

Notre Sorbonne ferait bien d’aller faire un tour à Moscou, et d’y rester.

Bonsoir, mon très-cher confrère. Je suis à vous bien tendrement pour le reste de ma vie.

7144. — À M. LE CHEVALIER DE TAULÈS.
À Ferney, 18 janvier.

Mes inquiétudes, monsieur, sur les tracasseries de Genève étant entièrement dissipées, et M. le duc de Choiseul m’ayant fait l’honneur de m’écrire la lettre la plus agréable, je profite de ses bontés pour lui demander[2] la permission d’être instruit par vous de quelques vieilles vérités que vous aurez déterrées dans

  1. Opéra dont les paroles sont de Thomas ; voyez lettre 7073.
  2. Cette lettre au duc de Choiseul manque.