Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/572

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
562
CORRESPONDANCE

a été réellement assis pendant quelques années. Je vous garderai le secret et vous me le garderez. Je vous demande en grâce de faire mes tendres compliments au philosophe orateur et poëte, M. Thomas, dont je fais plus de cas que de Thomas d’Aquin.

Je vous renouvelle mes remerciements et les assurances de mon attachement inviolable.

Laissons là le cardinal de Richelieu, tant loué par notre Académie, et aimons Henri IV, votre compatriote et mon héros.

7215. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
De Saint-Joseph, mardi 22 mars 1708.
(Ma date servira de signature.)

J’ai eu la visite de Mme Denis, de M. et de Mme Dupuits ; jugez, monsieur, du plaisir que j’ai eu à parler de vous. Je les ai accablés de questions de votre santé, de la vie que vous menez, de la façon dont j’étais avec vous ; si vous pensiez à me donner votre statue ou votre buste ? j’ai été contente de leurs réponses. Votre santé est bonne ; vous ne vous ennuyez point, et vous décorerez mon cabinet ; souffrez à présent que je vous interroge. Pourquoi vous êtes-vous séparé de votre compagnie ? Je n’ai point été contente des raisons qu’on m’en a données. Comment, à nos âges, peut-on renoncer à des habitudes ? Ce n’est point par une vaine curiosité que je vous prie de m’informer de vos motifs, mais par l’intérêt véritable que je prends à vous. Oui, monsieur de Voltaire, rien n’est si vrai, je suis et serai toujours la meilleure de vos amies. Il y a cinquante ans que je vous connais, et par conséquent que je vous admire ; cette admiration n’a fait que croître et s’embellir par la comparaison de vous à vos contemporains, destinés à être vos successeurs. Je bénis le ciel d’être aussi vieille ; il n’y a plus de plaisir à vivre ; on n’entend plus que des lieux communs ou des extravagances. Si j’étais plus jeune, j’irais vous voir, et je m’accommoderais fort bien d’être en tiers entre vous et le Père Adam ; mais comme cela ne se peut pas, je vous renouvelle la demande que je vous ai déjà faite de m’envoyer toutes vos nouvelles productions ; vous pouvez compter sur ma fidélité. Je n’ai jamais donné copie de vos lettres, ni de ce que vous m’avez envoyé ; je les ai montrées à fort peu de personnes, et s’il y en a eu une d’imprimée, ce fut un certain M. Turgot, que je ne vois plus, qui a une mémoire diabolique, qui me joua ce tour. La Princesse de Babylone paraît, à ce qu’on m’a dit, et encore d’autres petits ouvrages ; envoyez-moi tout cela, je vous conjure, sous l’adresse de M. ou de Mme de Choiseul ; j’ai leur consentement. Il faut que je vous avoue, monsieur, une grande inquiétude que j’ai. Vous aimez si fort votre Catherine qu’il pourrait bien vous passer

  1. Correspondance complète, édition de Lescure ; Paris, 1865.