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CORRESPONDANCE

rité ; et il croit que cette naïveté est quelquefois horriblement tragique.

Ne trouvez-vous pas qu’il y a dans cette pièce du remue-ménage comme dans l’Écossaise. Je suis persuadé que cela vous aura amusés, vous et Mme d’Argental, pendant une heure. Il est doux de donner du plaisir, à cent lieues de chez soi, à ceux à qui on est attaché.

Je ne répondrais pas que la police ne fît quelques petites allusions qui pourraient empêcher la pièce d’être jouée ; mais, après tout, que pourra-t-on soupçonner ? que l’auteur a joué l’Inquisition sous le nom des prêtres de Pluton ? En ce cas, c’est rendre service au genre humain ; c’est faire un compliment au roi d’Espagne, et surtout au comte d’Aranda ; c’est l’histoire du jour avec toute la bienséance imaginable, et tout le respect possible pour la religion.

Voyez, mon divin ange, ce que votre amitié prudente et active peut faire pour ces pauvres Guèbres ; mais je n’ai point abandonné les Scythes : ils ne sont pas si piquants que les Guèbres, d’accord ; mais, de par tous les diables, ils valent leur prix. La loi porte qu’ils soient rejoués, puisque les histrions firent beaucoup d’argent à la dernière représentation. Les comédiens sont bien insolents et bien mauvais, je l’avoue ; mais il faut obéir à la loi. J’ignore quel est le premier gentilhomme de la loi cette année ; mais, en un mot, j’aime les Scythes. J’ai envie de finir par les Corses ; je suis très-fâché qu’on en ait tué cent cinquante d’entrée de jeu ; mais M. de Chauvelin m’a promis que cela n’arriverait plus.

Vous êtes bien peu curieux de ne pas demander les Droits des hommes et les usurpations des papes ; c’est, dit-on, un ouvrage traduit de l’italien[1], dont un envoyé de Parme doit être très-friand.

Une chose dont je suis bien plus friand, mon cher ange, c’est de vous embrasser avant que je meure. Je suis, à la vérité, un peu sourd et aveugle ; mais cela n’y fait rien. Je recommence à voir et à entendre au printemps ; et j’ai grande envie, si je suis en vie au mois de mai, de venir présenter un bouquet à Mme d’Argental. Je devais aller cet automne chez l’électeur palatin ; mais je me suis trouvé trop faible pour le voyage. Je me sentirai bien plus fort quand il s’agira de venir vous voir. Il est vrai que je n’y voudrais aucune cérémonie. Nous en raisonnerons quand nous

  1. Voyez tome XXVII, page 193.