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ANNÉE 1768.

Les mêmes incrédules ne pensent pas que le corail soit un composé de petits pucerons marins. Feu M. de La Faye disait qu’il ne se souciait nullement de savoir à fond l’histoire de tous ces gens-là, et qu’il ne fallait pas s’embarrasser des personnes avec qui on ne peut jamais vivre.

Mais nous avons d’autres génies bien plus sublimes ; ils vous créent un monde aussi aisément que l’abbé de Lattaignant fait une chanson ; ils se servent pour cela de machines qu’on n’a jamais vues : d’autres viennent ensuite, qui vous peuplent ce monde par attraction. Un songe-creux de mon voisinage a imprimé sérieusement qu’il jugeait que notre monde devait durer tant qu’on ferait des systèmes, et que dès qu’ils seraient épuisés ce monde finirait ; en ce cas, nous en avons encore pour longtemps.

Vous avez très-grande raison d’être étonné que, dans l’Homme aux quarante écus[1], on ait imputé au grand calculateur Harvey le système des œufs ; il est vrai qu’il y croyait ; et même il y croyait si bien qu’il avait pris pour sa devise ces mots : Tout vient d’un œuf. Cependant, en assurant que les œufs étaient le principe de toute la nature, il ne voyait, dans la formation des animaux, que le travail d’un tisserand qui ourdit sa toile. D’autres virent ensuite, dans le fluide de la génération, une infinité de petits vermisseaux très-sémillants ; quelque temps après on ne les vit plus ; ils sont entièrement passés de mode. Tous les systèmes sur la manière dont nous venons au monde ont été détruits les uns par les autres ; il n’y a que la manière dont on fait l’amour qui n’a jamais changé.

Vous me demandez, à propos de tous ces romans, si dans le Recueil du Lapon, qu’on vient d’imprimer à Lyon[2], on a imprimé ces lettres si étonnantes où l’on proposait de percer un trou jusqu’au centre de la terre, d’y bâtir une ville latine, de disséquer des cervelles de Patagons pour connaître la nature de l’âme, et d’enduire les corps humains de poix-résine pour conserver la santé[3] ; vous verrez que ces belles choses sont très-adoucies et très-déguisées dans la nouvelle édition. Ainsi il se trouve qu’à la fin du compte c’est moi qui ai corrigé l’ouvrage.

Fortius et melius magnas plRidiculum acri
Fortius et melius magnas plerumque secat res.

(Hor., lib I, sat x.)
  1. Tome XXI, page 336.
  2. On venait d’y publier une édition des Œuvres de Maupertuis en quatre volumes in-8°.
  3. Voyez tome XXIII, pages 574 et suiv.