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ANNÉE 1768.

mort de désespoir le lendemain de l’exécution), pour avoir prié un libraire de le défaire de quelques volumes qu’il ne connaissait pas, et qu’on lui avait donnés en payement.

Vous noterez que parmi ces volumes on nomme dans l’arrêt l’Homme aux quarante écus, et une tragédie de la Vestale[1] (imprimée avec permission tacite), comme impies et contraires aux bonnes mœurs. Cette atrocité absurde fait à la fois horreur et pitié ; mais quel remède y apporter, quand on est placé à la gueule du loup ?

Ce sera l’abbé de Condillac qui succédera à l’abbé d’Olivet ; je crois que nous n’aurons pas à nous plaindre de l’échange. À propos de l’abbé d’Olivet, pourriez-vous m’envoyer quelques anecdotes à son sujet, si vous en savez d’intéressantes ? L’abbé Batteux, notre directeur, qui se trouve chargé de son éloge, m’a prié de vous les demander, et de vous dire qu’il se serait adressé directement à vous-même s’il avait l’honneur d’en être connu.

Adieu, mon cher maître ; on dit que vous travaillez nuit et jour : tant mieux pour le public, mais que ce ne soit pas tant pis pour votre santé, qui est, comme disait Newton du repos, res prorsus substanlialis. Vale, et me ama.

7369. — À M. TABAREAU.
Octobre.

Il est étonnant, monsieur, que les Chinois sachent au juste le nombre de leurs concitoyens, et que nous, qui avons tant d’esprit et qui sommes si drôles, nous soyons encore dans l’incertitude ou plutôt dans l’ignorance sur un objet si important. Je ne garantis pas le calcul de M. de La Michodière[2] ; mais, s’il y a vingt millions d’hommes en France, chaque individu doit prétendre à quarante écus de rente ; et si nous n’avons que seize millions d’animaux à deux pieds et à deux mains, il nous revient à chacun 144 livres ou environ. Cela est fort honnête ; mais les hommes ne savent pas borner leurs désirs.

Il y a une chose qui me fâche davantage, c’est que quand vous avez la bonté de donner cours à mes paquets pour Paris, vos commis mettent Genève sur l’enveloppe : cela est cause qu’ils sont ouverts à Paris. Les tracasseries genevoises ont probablement été l’objet de cette recherche ; mais je ne suis point Genevois représentant. J’ai cru que ma correspondance, favorisée par vous, serait en sûreté. Je vous prie en grâce de me dire si les paquets pareils à ceux que je vous ai fait tenir pour vous-même ont été marqués, dans vos bureaux, de ce mot funeste Genève. Il

  1. Éricie ou la Vestale, tragédie de Fontanelle, en trois actes et en vers, 1768, in-8°.
  2. Voyez la note, tome XLV, page 123.