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année 1768.

curiosité de savoir la vérité de ce fait ; s’il est vrai, quel trouble vous allez mettre dans toutes les têtes, quel triomphe et quelle édification ! quelle indignation, quel scandale, et pour tous en général quel étonnement ! Ce sera, sans contredit, faire un grand bruit.

J’ai reçu votre Princesse de Babylone, qui m’a fait grand plaisir. Il y a bien de nouvelles brochures dont on m’a parlé, et que vous devriez m’envoyer ; je suis plus curieuse de ce qui vient de vous (et à plus juste titre), que vous ne pouvez ni ne devez l’être des prétendues merveilles du Nord. Vous avez lu l’Honnête Criminel ; vous a-t-il fait fondre en larmes ? C’est l’effet général qu’il a produit, excepté sur quelques mauvais cœurs comme moi, qui, pour justifier leur insensibilité, prétendent qu’il n’y a pas un sentiment naturel.

Le monde est devenu bien sot depuis que vous l’avez quitté ; il semble que chacun cherche à tatôns le vrai et le beau, et que personne ne l’attrape ; mais il n’y a personne qui puisse juger des méprises. Je ne prétends pas a cet avantage ; je ne suis pas plus éclairée qu’un autre, mais j’ai des modèles du beau, du bon et du vrai, et tout qui ne leur ressemble pas ne saurait me séduire.

Quand je ne vous lis pas, savez-vous quelle est ma lecture favorite ? C’est le Journal encyclopédique ; j’en ai fait l’acquisition depuis peu ; c’est le seul journal que j’aie jamais lu avec plaisir. Ai-je tort ou raison ? Mais, monsieur, ai-je tort ou raison, de causer si familièrement avec vous, et appartient-il à une vieille sibylle, renfermée dans sa cellule, assise dans un tonneau, d’interroger et de fatiguer l’Apollon, le philosophe, enfin le seul homme de ce siècle ? Je crains que nous ne perdions bientôt celui qui était peut-être le plus aimable, le pauvre président ; il s’affaiblit tous les jours ; je lui ai lu votre lettre, il ne m’a point fait voir la vôtre, il m’a seulement dit que vous n’aviez pas lu le supplément à son article Tolérance.

Ah ! monsieur, si nous connaissiez madame la duchesse de Choiseul, vous ne diriez pas quelle est digne de m’aimer, mais vous diriez que personne n’est digne d’être aimé d’elle, et qu’elle est aussi supérieure à toutes les femmes passées, présentes et à venir, que vous l’êtes à tous les beaux esprits de ce siècle.

Adieu, monsieur ; en me répondant, laissez courir votre plume comme une folle, vous me prouverez que vous m’aimez ; vous me divertirez et vous me ferez grand bien.

7233. — À M. FENOUILLOT DE FALBAIRE.
Ferney, 11 avril.

Il ne vous manque plus rien, monsieur, vous avez pour vous le public, et il n’y a contre vous que

Ce lourd Fréron diffamé par la ville,
Comme un bâtard du bâtard de Zoïle.