Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
268
CORRESPONDANCE.

j’ai passé une année entière sans sortir un moment de ma chambre. C’est de mon lit, ou plutôt de ma bière, que j’élève ma voix rauque jusqu’à vous. Ma lettre est un petit De profundis. On dit le président Hénault tombé en enfance : pour moi, je suis tombé en poussière. Je n’exige pas que vous réchauffiez ma cendre par quelqu’une de vos agréables lettres : je sais assez qu’un premier gentilhomme d’année, gouverneur de province, n’a pas beaucoup de temps à lui ; mais je demande que vous lisiez au moins avec bonté le De profundis d’un serviteur d’environ cinquante années.

Si j’osais me ressouvenir encore du théâtre qui est sous vos lois, et que j’ai tant aimé, je vous demanderais votre protection pour la tragédie, qui s’en va, dit-on, à tous les diables, comme bien d’autres choses ; mais je ne suis plus de ce monde, et il ne me reste de vie que pour vous assurer, avec le plus tendre respect, que je mourrai en révérant et en aimant le doyen de notre Académie, et l’homme qui fait le plus d’honneur à la France.

7487. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
27 février.

Mon divin ange, j’aurais voulu vous écrire plus tôt, mais les neiges m’ont englouti ; j’ai été extrêmement malade. Si le président Hénault est tombé en enfance, ma jeunesse se passe, et je tomberai bientôt dans le néant. Molé paraît me condamner à y entrer. Vous, qui êtes beaucoup plus jeune que moi, et dont l’âme tranquille et ferme gouverne un corps plus robuste, vous vous tirerez de là bien mieux que moi, et vous prendrez votre temps pour me rendre la vie. Je me mets entièrement entre vos mains.

Je crois qu’il est fort à désirer que la chose dont il est question puisse avoir son plein effet. Tout ce qui peut tendre à établir la tolérance chez les hommes doit être protégé bien fortement par vous[1].

Ce n’est que sur les lettres réitérées de Toulouse que j’y envoie les Sirven ; ce n’est que parce qu’on me mande qu’une grande partie du parlement, qui n’était qu’un séminaire de pédants ignorants, est devenue une académie de philosophes. Il faut partout laisser pourrir la grand’chambre, mais partout les enquêtes se forment ! Marc-Michel Rey n’a pas nui à ce prodi-

  1. Il s’agit ici de la représentation des Guèbres, tragédie.