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ANNÉE 1769.

À tant de grâce et de souplesse.
Il faut que, pour bien s’ajuster,
Les gens soient d’une même espèce.

Vous, dont l’esprit et les bons mots,
L’imagination féconde,
La repartie et l’à-propos
Font toujours le charme du monde ;
Vous, ma brillante du Deffant,
Conversez dans votre retraite,
Vivez avec la grand’maman :
C’est pour vous que les dieux l’ont faite.
Si j’allais très-imprudemment
Troubler vos séances secrètes,
Que diriez-vous d’un chat-huant
Introduit entre deux fauvettes ?

Cependant je veux savoir qui soupe entre Mme de Choiseul et vous ; qui en est digne, qui soutient encore l’honneur du siècle. Que voulez-vous que je vous dise ? Hélas ! toutes nos petites consolations ne sont encore que des emplâtres sur la blessure de la vie. Mais, dans votre malheur, vous avez du moins le meilleur des remèdes ; et, puisque vous existez, qu’y a-t-il de mieux que de consumer quelques moments de cette existence douloureuse et passagère avec des amis qui sont au-dessus du commun des hommes ? Vous m’avez donné une grande satisfaction en réapprenant que le président a repris son âme.

Hélas ! qu’a-t-il pu ressaisir
De cette âme qui sut vous plaire ?
Quelque faible ressouvenir,
Et quelque image bien légère,
Qui ne revient que pour s’enfuir !
A-t-il du moins quelque désir,
Même encor sans le satisfaire ?
A-t-il quelque ombre de plaisir ?
Voilà notre importante affaire.
Qu’on a peu de temps pour jouir !
Et la jouissance est un songe.
Du néant tout semble sortir,
Dans le néant tout se replonge.
Plus d’un bel esprit nous l’a dit ;
Un autre Henault[1] et Deshoulière,

  1. Jean Hesnault ; voyez tome XIV, page 80.