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ANNÉE 1768.

désert, on n’aurait pu y loger quatre sergents. Tous les officiers y sont assez à leur aise, mais l’église est devenue trop petite : il faut l’agrandir et édifier mes paroissiens. J’y fais prier Dieu pour la santé de la reine. J’ai déjà été exaucé sur celle de Mme d’Argental. Puisse-t-elle longtemps jouir avec vous de la vie la plus heureuse ! Pour moi, tant que je respirerai, je conserverai pour vous deux mon culte de dulie.

7258. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, le 13 mai.

Dieu m’est témoin, mon cher maître, combien j’ai été édifié du spectacle que vous avez donné le 3 d’avril dernier, bon jour, bonne œuvre, en rendant vous-même le pain bénit, à la grande satisfaction de la Jérusalem céleste, et principalement des trônes, des dominations, et des puissances, qui, a ce que je me suis laissé dire, en sont fort contents, d’autant plus qu’on leur a assuré que le beurre en était bon. Il faut que le tigre aux yeux de veau aime la brioche, et vous devriez bien lui en envoyer une la première fois que vous réitérerez cette belle cérémonie : car je sais qu’il cherche à se disculper des mauvais propos qu’on lui attribue. Ne vous y fiez pas trop pourtant, car

Timeo Danaos et verba ferentes.

(Virg., Æneid., lib. II, v. 49.)

Surtout engagez, si vous le pouvez, le nommé Chirol, ou le nommé Grasset, et leur compère Marc-Michel Rey, à ne pas imprimer tant de sottises, qu’on a la platitude de mettre sur votre compte. S’il était permis de plaisanter sur un sujet aussi grave que le pain bénit, j’aurais répondu, comme Pourceaugnac, à toutes les sottises que j’ai entendu dire à ce sujet : « Quel grand raisonnement faut-il pour manger un morceau[1] ? »

Si vous êtes enchanté de M. le marquis de Mora, il l’est bien davantage de vous ; et je vous manderais ce qu’il m’écrit à ce sujet si je ne songeais que vous êtes en état de grâce, et que le chanoine de saint Bruno a été damné par un mouvement de vanité.

À propos d’Espagne, j’ai reçu, il y a quelque temps, une lettre excellente de votre ancien disciple[2] sur l’affaire de Parme ; il me mande que « le grand lama du Vatican ressemble à un vieux danseur de corde qui, dans un âge d’infirmité, veut répéter ses tours de force, tombe, et se casse le cou ». Cette comparaison vaut mieux que toutes les écritures de Madrid et de nos seigneurs du parlement de Paris sur ce beau sujet.

L’épigramme contre le janséniste La Bletterie[3] est bien douce pour un

  1. Molière, Monsieur de Pourceaugnac, acte I, scène ii.
  2. Le roi de Prusse ; sa lettre à d’Alembert est du 24 mars 1768.
  3. Voyez page 31.