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ANNÉE 1768.
7262. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT.
À Ferney, 21 mai.

Satis est, domine, satis est. Vous me donnez, monsieur, plus de vin de Champagne que jamais le prince de Condé n’en donna à Santeul ; et cet ivrogne disait encore : Amplius, domine, amplius ; mais moi, qui suis moins bon poëte que Santeul, et qui bois beaucoup moins de vin, je vous assure, monsieur, que vous m’en donnez beaucoup trop, et que je ne sais comment m’y prendre ni pour vous remercier, ni pour le boire. Je ne tiens plus de maison. Nous allons peut-être, Mme Denis et moi, vendre Ferney : la fin de ma vie sera retirée, et probablement assez triste avec une santé déplorable ; la nature m’a fait présent de soixante-quatorze ans, et des maladies de quatre-vingt-dix.

Jouissez, vous et madame votre femme, de votre brillante jeunesse. Buvez, s’il se peut, plus de vin de Champagne que vous ne m’en donnez. Je me flatte que vous voyez quelquefois M. d’Alembert : il a eu avec moi des procédés charmants qui m’ont pénétré l’âme. Ô que j’aime qu’un philosophe soit sensible ! Pour moi, je suis plus sensible que philosophe, et je le suis passionnément à vos bontés, à votre mérite.

Je présente mes respects au couple heureux qui mérite tant de l’être.

7263. — À M. BORDES[1].
22 mai.

Je vous avais bien dit, mon cher Orphée, que je ne devais pas me presser ; je ne vous aurais attiré qu’un dégoût, et j’en aurais été plus mortifié que vous-même. On me mande positivement que celui auprès duquel j’aurais voulu sonder le terrain[2], et qui ne m’a fait aucune réponse, a pris le parti de vos ennemis et des miens, et qu’il a fait tout ce qu’il pouvait faire pour nous exclure l’un et l’autre de tous les plaisirs : il est vrai que les plaisirs ne sont plus faits pour moi ; mais ils sont votre apanage, ainsi que les talents.

On m’assure que cet homme, sur l’amitié duquel je devais certainement compter, nous a desservis tous deux violemment

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Moncrif.