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ANNÉE 1768.
7269. — À M. COLINI.
À Ferney, 29 mai

Enfin, mon cher ami, si Leurs Altesses électorales le permettent, ce ne sera plus mon seul petit buste qui leur fera sa cour, ce sera moi-même, ou plutôt l’ombre de moi-même qui viendra se mettre à leurs pieds et vous embrasser de tout son cœur. Je serai libre au mois de juillet ; je ne serai plus le correcteur d’imprimerie des Cramer. J’ai rempli cette noble fonction quatorze ans avec honneur. Le scribendi cacoethes[1], qui est une maladie funeste, m’a consumé assez. Je veux avant de mourir remplir mon devoir, et jouir de quelque consolation : celle de revoir Schwetzingen est ma passion dominante ; je ne peux y aller que dans une saison brûlante, car telle est ma déplorable santé qu’il faut que je fasse du feu dix mois de l’année. Franchement je ne suis pas fait pour la cour de monseigneur l’électeur ; il ne se chauffe jamais, il a toute la vigueur de la jeunesse : il dîne et soupe. Je suis mort au monde ; mais la reconnaissance et l’attachement pourront me ranimer. En un, mot, mort ou vif, je vous embrasserai, mon cher ami, à la fin de juillet. Je suis bien vieux, mais mon cœur est encore tout neuf.

7270. — À M. GAY DE KOBLAC[2].
30 mai.

Vous écrivez, monsieur, à M. de Voltaire, par votre lettre du 19 mai, que vous avez fait un petit ouvrage sur sa Rétractation, que vous le dédiez au chapitre de Saint-André. Il est trop malade pour avoir l’honneur de vous répondre. Je suis obligé de vous dire qu’il respecte fort le chapitre de Saint-André ; mais nous ne savons ici ce que c’est que cette rétractation prétendue. Les gazettes des pays étrangers sont souvent trompées par les nouvellistes de Paris, et trompent le public à leur tour : elles deviennent quelquefois les échos de la calomnie ; elles immolent les particuliers au public. M. de Voltaire, en s’acquittant le jour de Pâques, dans sa paroisse, d’un devoir auquel personne ne manque dans ce diocèse, entouré de protestants, avertit les assistants du danger de la reine, et fit prier Dieu pour elle. Il donna

  1. Juvénal, satire vii, vers 52.
  2. À qui est adressée la lettre 6533, tome XLIV, page 461.