Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/410

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donnée comme une comédie anglaise de M. Hume, prêtre écossais, traduite en français par Jérôme Carré, un de ces pseudonymes dont Voltaire avait tout un arsenal. Des exemplaires en circulaient dès le 19 mai 1760 puisqu’à cette date l’auteur, écrivant à Mme d’Épinay, demande à la « belle philosophe » ce que c’est qu’une comédie intitulée le Café, et que, le lendemain, il prend la peine de la désavouer en écrivant au pasteur Bertrand.

Le 3 juin, Fréron publiait dans sa feuille une longue analyse de la pièce anonyme. Il disait qu’on l’attribuait à Voltaire, mais qu’il n’était pas supposable que celui-ci fût l’auteur d’un production si faible.

« Le gazetier qui joue un rôle postiche dans l’Écossaise est appelé Frélon. On lui donne les qualifications d’écrivain de feuilles, de fripon, de crapaud, de lézard, de couleuvre, d’araignée, de langue de vipère, d’esprit de travers, de cœur de boue, de méchant, de faquin, d’impudent, de lâche coquin, d’espion, de dogue, etc. Il m’est revenu que quelques petits ecrivailleurs prétendaient que c’était moi qu’on avait voulu désigner sous le nom de Frélon ; à la bonne heure, qu’ils le croient, ou qu’ils feignent de le croire, et qu’ils tâchent même de le faire croire à d’autres. Mais si c’est moi réellement que l’auteur a eu en vue, j’en conclus que ce n’est pas M. de Voltaire qui a fait ce drame. Ce grand poëte, qui a beaucoup de génie, surtout celui de l’invention, ne se serait pas abaissé à être le plagiaire de M. Piron qui, longtemps avant l’Écossaise, m’a très-ingénieusement appelé Frélon ; il est vrai qu’il avait dérobé lui-même ce bon mot, cette idée charmante, cet effort d’esprit incroyable, à M. Chévrier, auteur infiniment plaisant. De plus, M. de Voltaire aurait-il jamais osé traiter quelqu’un de fripon ; Il connaît les égards ; il sait trop ce qu’il se doit à lui-même et ce qu’il doit aux autres. »

Ce que Fréron disait, il n’en était pas convaincu ; il savait très-bien que le grand polémiste ne se refusait absolument aucune arme, lorsqu’il s’agissait de combattre un adversaire. Il en citait une preuve au moment même : il racontait une anecdote dont le principal personnage n’était pas bien difficile à deviner. « Je suis accoutumé depuis longtemps au petit ressentiment des écrivains… Un auteur français très-célèbre, qui s’était retiré dans une cour d’Allemagne, fit un ouvrage dont il ne me fut pas possible de dire beaucoup de bien. Ma critique blessa son amour-propre. Un jour on lui demanda des nouvelles de la France. Il répondit d’abord qu’il n’en savait pas. Par hasard, on vint à parler de moi : « Ah ! ce pauvre Fréron ! s’écria-t-il d’un air touché ; il est condamné aux galères ; il est parti ces jours derniers avec la chaîne ; on me l’a mandé de Paris. » On interrogea l’auteur sur les raisons qui m’avaient attiré ce malheur ; on le pria de montrer la lettre dans laquelle on lui apprenait cette étrange aventure. Il répondit qu’on ne lui avait écrit que le fait sans lui en expliquer la cause, et qu’il avait déchiré la lettre. On vit tout d’un coup que c’était une gentillesse d’esprit. Je ne pus m’empêcher d’en rire moi-même lorsque quelques amis m’écrivirent cette heureuse saillie. »

C’est à cette anecdote qu’il est fait allusion dans la requête de Jérôme Carré À Messieurs les Parisiens qu’on trouve ci-après (voyez page 415).