Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Antigone

Ah ! C’est notre valeur,
Notre bras, notre sang, qui fonda sa grandeur ;
Il ne fut qu’un ingrat.


Cassandre

Ô mes dieux tutélaires !
Quels mortels ont été plus ingrats que nos pères ?
Tous ont voulu monter à ce superbe rang.
Mais de sa femme enfin pourquoi percer le flanc ?
Sa femme !… Ses enfants !… Ah ! Quel jour, Antigone !


Antigone

Après quinze ans entiers ce scrupule m’étonne.
Jaloux de ses amis, gendre de Darius,
Il devenait Persan ; nous étions les vaincus :
Auriez-vous donc voulu que, vengeant Alexandre,
La fière Statira, dans Babylone en cendre,
Soulevant ses sujets, nous eût immolés tous
Au sang de sa famille, au sang de son époux ?
Elle arma tout le peuple : Antipatre avec peine
Échappa dans ce jour aux fureurs de la reine ;
Vous sauvâtes un père.

Cassandre

Il est vrai ; mais enfin
La femme d’Alexandre a péri par ma main.


Antigone

C’est le sort des combats ; le succès de nos armes
Ne doit point nous coûter de regrets et de larmes.


Cassandre

J’en versai, je l’avoue, après ce coup affreux ;
Et, couvert de ce sang auguste et malheureux,
Étonné de moi-même, et confus de la rage
Où mon père emporta mon aveugle courage,
J’en ai longtemps gémi.

Antigone

Mais quels motifs secrets
Redoublent aujourd’hui de si cuisants regrets ?
Dans le cœur d’un ami j’ai quelque droit de lire :
Vous dissimulez trop.


Cassandre

.

Ami… que puis-je dire ?
Croyez qu’il est des temps où le cœur combattu
Par un instinct secret revole à la vertu,