Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/125

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Sur le corps d’un époux il la jeta mourante ;
Vous serez plus surpris lorsque vous apprendrez
Des secrets jusqu’ici de la terre ignorés.
Cette femme élevée au comble de la gloire,
Dont la Perse sanglante honore la mémoire,
Veuve d’un demi-dieu, fille de Darius…
Elle vous parle ici, ne l’interrogez plus[1].

Les prêtres et les prêtresses élèvent les mains, et s’inclinent.

L’Hiérophante

.

Ô dieux ! Qu’ai-je entendu ? Dieux, que le crime outrage,
De quels coups vous frappez ceux qui sont votre image !
Statira dans ce temple ! Ah ! Souffrez qu’à genoux,
Dans mes profonds respects…

Statira

.

Grand-prêtre, levez-vous.
Je ne suis plus pour vous la maîtresse du monde ;

  1. Non-seulement les défauts de cette tragédie ont empêché l’auteur d’oser la faire jouer sur le théàtre de Paris ; mais la crainte que le peu de beautés qui peut y être ne fut exposé à la raillerie a retenu l’auteur encore plus que ses défauts, La même légèreté qui fit condamner Athalie pendant plus de vingt années par ce même peuple qui applaudissait à la Judith de Boyer, les mêmes prétextes qui servirent à jeter du ridicule sur un prêtre et sur un enfant, peuvent subsister aujourd’hui. Il est à croire qu’on dirait : Voilà une tragédie jouée dans un couvent ; Statira est religieuse, Cassandre a fait une confession générale, l’hiérophante est un directeur, etc.

    Mais aussi il se trouvera des lecteurs éclairés et sensibles qui pourront être attendris de ces mêmes ressemblances, dans lesquelles d’autres ne trouveront que des Sujets de plaisanterie. Il n’y a point de royaume en Europe qui n’ait vu des reines s’ensevelir, les derniers jours de leur vie, dans des monastères, après les plus horribles catastrophes. Il y avait de ces asiles chez les anciens, comme parmi nous. La Calprenède [dans son roman intitulé Cassandre] fait retrouver Statira dans un puits : ne vaut-il pas mieux la retrouver dans un temple ?

    Quant à la confession de ses fautes dans les cérémonies de la religion, elle est de la plus haute antiquité, et est expressément ordonnée par les lois de Zoroastre, qu’on trouve dans le Sadder. Les initiés n’étaient point admis aux mystères sans avoir exposé le secret de leurs cœurs en présence de l’Être suprême. S’il y a quelque chose qui console les hommes sur la terre, c’est de pouvoir être réconcilié avec le ciel et avec soi-même. En un mot, on a taché de représenter ici ce que les malheurs des grands de la terre ont jamais eu de plus terrible, et ce que la religion ancienne a jamais eu de plus consolant et de plus auguste. Si ces mœurs, ces usages, ont quelque conformité avec les nôtres, ils doivent porter plus de terreur et de pitié dans nos âmes.

    Il y a quelquefois dans le cloître je ne sais quoi d’attendrissant et d’auguste. La comparaison que fait secrètement le lecteur entre le silence de ces retraites et le tumulte du monde, entre la piété paisible qu’on suppose y régner, et les discordes sanglantes qui désolent la terre, émeut et transporte une âme vertueuse et sensible. (Note de Voltaire.)