Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/143

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Je renais… Ah ! Grands dieux ! Vouliez-vous que ma main
Présentât Olympie à ce monstre inhumain ?
Qu’exigiez-vous de moi ? Quel affreux ministère
Et pour votre prêtresse, hélas ! Et pour sa mère !
Vous en avez pitié : vous ne prétendiez pas
M’arrêter dans le piège où vous guidiez mes pas.
Cruel, n’insulte plus et l’autel et le trône :
Tu souillas de mon sang les murs de Babylone ;
J’aimerais mieux encore une seconde fois
Voir ce sang répandu par l’assassin des rois,
Que de voir mon sujet, mon ennemi… Cassandre
Aimer insolemment la fille d’Alexandre.


Cassandre

Je me condamne encore avec plus de rigueur ;
Mais j’aime, mais cédez à l’amour en fureur.
Olympie est à moi ; je sais quel fut mon père ;
Je suis roi comme lui, j’en ai le caractère,
J’en ai les droits, la force : elle est ma femme enfin :
Rien ne peut séparer mon sort et son destin.
Ni ses frayeurs, ni vous, ni les dieux, ni mes crimes,
Rien ne rompra jamais des nœuds si légitimes.
Le ciel de mes remords ne s’est point détourné ;
Et, puisqu’il nous unit, il a tout pardonné.
Mais si l’on veut m’ôter cette épouse adorée,
Sa main qui m’appartient, sa foi qu’elle a jurée,
Il faut verser ce sang, il faut m’ôter ce cœur
Qui ne connaît plus qu’elle, et qui vous fait horreur.
Vos autels à mes yeux n’ont plus de privilège ;
Si je fus meurtrier, je serai sacrilège.
J’enlèverai ma femme à ce temple, à vos bras,
Aux dieux même, à nos dieux, s’ils ne m’exauçaient pas.
Je demande la mort, je la veux, je l’envie,
Mais je n’expirerai que l’époux d’Olympie.
Il faudra, malgré vous, que j’emporte au tombeau
Et l’amour le plus tendre, et le nom le plus beau,
Et les remords affreux d’un crime involontaire,
Qui fléchiront du moins les mânes de son père.


Cassandre sort avec Sostène.