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Cassandre

M’immoler.


Olympie

Ton arrêt est dicté par ta voix…
Attends ici le mien[1]. Vous, mânes de ma mère,
Mânes à qui je rends ce devoir funéraire,
Vous, qu’un juste courroux doit encore animer,
Vous recevrez des dons qui pourront vous calmer.
De mon père et de vous ils sont dignes peut-être…
Toi, l’époux d’Olympie, et qui ne dus pas l’être ;
Toi, qui me conservas par un cruel secours ;
Toi, par qui j’ai perdu les auteurs de mes jours ;
Toi, qui m’as tant chérie, et pour qui ma faiblesse
Du plus fatal amour a senti la tendresse,
Tu crois mes lâches feux de mon âme bannis…
Apprends… que je t’adore… et que je m’en punis[2].

  1. Elle monte sur l’estrade de l’autel qui est près du bûcher. Les prêtresses
    lui présentent les offrandes. (Note de Voltaire.)
  2. Le suicide est une chose très-commune sur la scène française. Il n’est pas
    à craindre que ces exemples soient imités par les spectateurs. Cependant, si on
    mettait sur le théâtre un homme tel que le Caton d’Addison, philosophe et citoyen,
    qui, ayant dans une main le Traité de l’immortalité de l’âme de Platon, et une
    épée dans l’autre, prouve par les raisonnements les plus forts qu’il est des conjonctures où un homme de courage doit finir sa vie, il est à croire que les grands noms
    de Platon et de Caton réunis, la force des raisonnements, et la beauté des vers,
    pourraient faire un assez puissant effet sur des âmes vigoureuses et sensibles pour
    les porter à l’imitation, dans ces moments malheureux où tant d’hommes éprouvent
    le dégoût de la vie.

    Le suicide n’est pas permis parmi nous. Il n’était autorisé, ni chez les Grecs, ni chez
    les Romains, par aucune loi ; mais aussi n’y en avait-il aucune qui le punit. Au
    contraire, ceux qui se sont donné la mort, comme Hercule, Cléomène, Brutus,
    Cassius, Arria, Pætus, Catou, l’empereur Othon, ont tous été regardés comme des
    grands hommes et comme des demi-dieux.

    La coutume de finir ses jours volontairement sur un bûcher a été respectée de
    temps immémorial dans toute la haute Asie ; et aujourd’hui même encore, on en a
    de fréquents exemples dans les Indes orientales.

    On a tant écrit sur cette matière, que je me bornerai à un petit nombre de
    questions.

    Si le suicide fait tort à la société, je demande si ces homicides volontaires, et
    légitimés par toutes les lois, qui se commettent dans la guerre, ne l’ont pas un peu
    plus de tort au genre humain.

    Je n’entends pas, par ces homicides, ceux qui, s’étant voués au service de leur
    patrie et de leur prince, affrontent la mort dans les batailles ; je parle de ce nombre
    prodigieux de guerriers auxquels il est indifférent de servir sous une puissance ou
    sous une autre, qui trafiquent de leur sang comme un ouvrier vend son travail et
    sa journée, qui combattront, demain pour celui contre qui ils étaient armés hier,
    et qui, sans considerer ni leur patrie ni leur famille, tuent et se font tuer pour
    des étrangers. Je demande en bonne foi si cette espèce d’héroisme est comparable