Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/20

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Que monseigneur daignât ici se rendre :
Il vient demain ; ne faites rien sans lui.

MATHURIN.

C’est pour cela que j’épouse aujourd’hui.

LE BAILLIF.

Comment ?

MATHURIN.

Comment ?Eh oui : ma tête est peu savante ;
Mais on connaît la coutume impudente
De nos seigneurs de ce canton picard.
C’est bien assez qu’à nos biens on ait part,
Sans en avoir encore à nos épouses.
Des Mathurins les têtes sont jalouses :
J’aimerais mieux demeurer vieux garçon
Que d’être époux avec cette façon.
Le vilain droit !

LE BAILLIF.

Le vilain droit !Mais il est fort honnête :
Il est permis de parler tête à tête
À sa sujette, afin de la tourner
À son devoir, et de l’endoctriner.

MATHURIN.

Je n’aime point qu’un jeune homme endoctrine
Cette disciple à qui je me destine ;
Cela me fâche.

LE BAILLIF.

Cela me fâche. Acanthe a trop d’honneur
Pour te fâcher : c’est le droit du seigneur ;
Et c’est à nous, en personnes discrètes,
À nous soumettre aux lois qu’on nous a faites.

MATHURIN.

D’où vient ce droit ?

LE BAILLIF.

D’où vient ce droit ?Ah ! depuis bien longtemps
C’est établi… ça vient du droit des gens.

MATHURIN.

Mais sur ce pied, dans toutes les familles,
Chacun pourrait endoctriner les filles.

LE BAILLIF.

Oh ! point du tout… c’est une invention
Qu’on inventa pour les gens d’un grand nom.
Car, vois-tu bien, autrefois les ancêtres