Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/236

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"226 LE TRIUMVIRAT.

Enseignez à son rœiir à supporter ma mort. (Ju’elle envisage moins ma perte que ma gloire ; Que, mort pour la venger, je vive en sa mémoire : C’est tout ce que je veux. Mais en portant mes coups, Je vous laisse exposée, et je frémis pour vous. xVntoine est en ces lieux maître de votre vie, Il peut venger sur vous le frère d’Octavie.

FULVIE.

Qui ? lui ! qui ? ce mortel sans pudeur et sans foi ?

Cet oppresseur de Rome, et du monde, et de moi ?

Lui, qui m’ose exiler ? Quoi ! dans mon entreprise

Vous pensez qu’un tyran, (ju’une mort me suffise ?

Aviez-vous soupçonné que je ne saurais pas

Porter, ainsi que vous, et souffrir le trépas ;

Que je dévorerais mes douleurs impuissantes ? —^-^Voyez de ces tyrans les demeures sanglantes ; ^^ -C’est l’école du meurtre, et j’ai dû m’y former ;

De leur esprit de rage ils ont su m’animer ;

Leur loi devient la mienne, il faut que je la suive ;

Il faut qu’Antoine meure, et non pas que je vive.

Il périra, vous dis-je,

POMPÉE.

Et par qui ?

FULVIE.

Par ma main^,

POMPÉE.

Osez-vous bien remplir un si hardi dessein ?

FULVIE.

Osez-vous en douter ? Le destin nous rassemble Pour délivrer la terre, et pour mourir ensemble. Que le triumvirat, par nous deux aboli, Dans la tombe avec nous demeure enseveli. J’ai trop vécu comme eux : le terme de ma vie

1. Ce trait n’est pas historique, mais il ne m’étonne point dans Fulvie ; c’était une femme extrême en ses fureurs, et digne, comme elle le dit, du temps funeste où elle était née. Elle fut presque aussi sanguinaire qu’Antoine. Cicéron rapporte, dans sa troisième Philippique, que Fulvie étant à Brindes avec son mari, quelques centurions mêlés à des citoyens voulurent faire passer trois légions dans ie parti opposé ; qu’il les fit venir chez lui l’un après Tautre sous divers prétextes, et les fit tous égorger. Fulvie y était présente ; son visage était tout couvert de leur sang : Os uxoris sanguine respersum constabat. Elle fut accusée d’avoir arraché la langue à Cicéron après sa mort, et de l’avoir percée de son aiguille de tète. {Xote de Voltaire.)