Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ma chaîne est prête, et je suis fiancée,
Ou je vais être au moins dans un moment.

COLETTE.

Me hais-tu pas mon lâche ?

ACANTHE.

Me hais-tu pas mon lâche ?Honnêtement,
Entre nous deux, juges-tu sur ma mine
Qu’il soit bien doux d’être ici Mathurine ?

COLETTE.

Non pas pour toi ; tu portes dans ton air
Je ne sais quoi de brillant et de fier :
À Mathurin cela ne convient guère,
Et ce maraud était mieux mon affaire.

ACANTHE.

J’ai par malheur de trop hauts sentiments.
Dis-moi, Colette, as-tu lu des romans ?

COLETTE.

Moi ? non, jamais.

ACANTHE.

Moi ? non, jamais. Le baillif, Mêtaprose
M’en a prêté… Mon Dieu, la belle chose !

COLETTE.

En quoi si belle ?

ACANTHE.

En quoi si belle ? On y voit des amants
Si courageux, si tendres, si galants !

COLETTE.

Oh ! Mathurin n’est pas comme eux.

ACANTHE.

Oh ! Mathurin n’est pas comme eux. Colette,
Que les romans rendent l’âme inquiète !

COLETTE.

Et d’où vient donc ?

ACANTHE.

Et d’où vient donc ? Ils forment trop l’esprit :
En les lisant le mien bientôt s’ouvrit ;
À réfléchir que de nuits j’ai passées !
Que les romans font naître de pensées !
Que les héros de ces livres charmants
Ressemblent peu, Colette, aux autres gens !
Cette lumière était pour moi féconde ;
Je me voyais dans un tout autre monde ;