Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/470

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NINON.

Dès la première fois son maintien me surprit,
Sa grâce me charma, j’aimai son tour d’esprit.
Des femmes quelquefois assez extravagantes,
Ayant de sots maris, font des filles charmantes.
Il fallut bien souffrir de ses très sots parents
La visite importune et les plats compliments ;
Sa mère m’excéda par droit de voisinage :
Sa fille était tout autre ; elle obtint mon suffrage.
Elle aura quelque bien : Gourville, en l’épousant,
N’est point forcé de vivre avec madame Agnant ;
On respecte beaucoup sa chère belle-mère,
On la voit rarement, encor moins le beau-père.
Je me trompe, ou Sophie est bonne par le cœur ;
Point de coquetterie, elle aime avec candeur.
Je veux aux deux amants faire des avantages.

LISETTE.

Vous allez donc ce soir bâcler trois mariages ;
Celui de ces enfants, le vôtre, et puis le mien.
Madame, en un seul jour c’est faire assez de bien :
Il faudrait tout d’un temps, dans votre zèle extrême,
Pour notre aîné Gourville en faire un quatrième ;
Le mariage forme et dégourdit les gens.

NINON.

Il en a grand besoin : tout vient avec le temps.
Dans la rage qu’il eut d’être trop raisonnable,
Il ne lui manqua rien que d’être supportable ;
Mais les fortes leçons qu’il vient de recevoir
Sur cet esprit flexible ont eu quelque pouvoir :
Pour toi ton tour approche, et ton affaire est prête.
Mon cher ami Garant s’était mis dans la tête
De t’engager, Lisette, à me parler pour lui :
Il t’a promis beaucoup, est-il vrai ?

LISETTE.

Madame, oui.

NINON.

Un peu de différence est entre sa personne
Et la mienne peut-être, il promet et je donne :
Prends cinquante louis pour subvenir aux frais
De ton nouveau ménage.