Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/474

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Que mon bizarre sort me donne en mariage ?

GOURVILLE L’AÎNÉ.

Il ne m’appartient plus d’avoir un sentiment ;
Tout ce que vous ferez sera fait prudemment.

NINON.

Blâmeriez-vous tout bas une union si chère ?

GOURVILLE L’AÎNÉ.

Je n’ose plus blâmer ; mais quand je considère
Que pour nous séparer, pour m’entraîner ailleurs,
Il vous a peinte à moi des plus noires couleurs,
Qu’il voulait vous chasser de votre maison même…

NINON.

Oh ! C’était par vertu ; dans le fond Garant m’aime,
Il ne veut que mon bien : c’est un homme excellent :
Mais ne lui donnez plus la clef de votre argent ;
Et surtout gardez-vous un peu de ses cousines.

GOURVILLE L’AÎNÉ.

Ah ! Que ces prudes-là sont de grandes coquines !
Quel antre de voleurs ! et cependant enfin
Vous allez donc, madame, épouser le cousin !

NINON.

Reposez-vous sur moi de ce que je vais faire :
Allez, croyez surtout qu’il était nécessaire
Que j’en agisse ainsi pour sauver votre bien ;
Un seul moment plus tard vous n’aviez jamais rien.

GOURVILLE L’AÎNÉ.

Comment ?

NINON.

Vous apprendrez par des faits admirables
De quoi les marguilliers sont quelquefois capables ;
Vous serez convaincu bientôt, comme je crois,
Que ces hommes de bien sont différents de moi :
Vous y renoncerez pour toute votre vie,
Et vous préférerez la bonne compagnie.

GOURVILLE L’AÎNÉ.

Je ne réplique point. Honteux, désespéré,
Des sauvages erreurs dont j’étais enivré,
Je vous fais de mon sort la souveraine arbitre ;
Et dépendant de vous, je veux vivre à ce titre[1].

  1. Voltaire trouvait chose plaisante de faire réussir sur le théâtre une femme légère, mais estimable, qui fait d’un sot dévot un honnête homme. (G. A.)