Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/62

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D’où tenez-vous, dans ce séjour obscur,
Un ton si noble, un langage si pur ?
Partout on a de l’esprit : c’est l’ouvrage
De la nature, et c’est votre partage :
Mais l’esprit seul, sans éducation,
N’a jamais eu ni ce tour ni ce ton,
Qui me surprend… je dis plus, qui m’enchante.

ACANTHE.

Ah ! que pour moi votre âme est indulgente !
Comme mon sort, mon esprit est borné.
Moins on attend, plus on est étonné.

LE MARQUIS.

Quoi ! dans ces lieux la nature bizarre
Aura voulu mettre une fleur si rare,
Et le destin veut ailleurs l’enterrer !
Non, belle Acanthe, il vous faut demeurer.

(Il s’approche.)


ACANTHE.

Pour épouser Mathurin ?

LE MARQUIS.

Pour épouser Mathurin ? Sa personne
Mérite peu la femme qu’on lui donne,
Je l’avouerai.

ACANTHE.

Je l’avouerai. Mon père quelquefois
Me conduisait tout auprès de vos bois,
Chez une dame aimable et retirée,
Pauvre, il est vrai, mais noble et révérée,
Pleine d’esprit, de sentiments, d’honneur :
Elle daigne m’aimer ; votre faveur,
Votre bonté peut me placer près d’elle.
Ma belle-mère est avare et cruelle ;
Elle me hait ; et je hais malgré moi
Ce Mathurin qui compte sur ma foi.
Voilà mon sort, vous en êtes le maître ;
Je ne serai point heureuse peut-être ;
Je souffrirai ; mais je souffrirai moins
En devant tout à vos généreux soins.
Protégez-moi ; croyez qu’en ma retraite
Je resterai toujours votre sujette.

LE MARQUIS.

Tout me surprend. Dites-moi, s’il vous plaît,