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LE MARQUIS, lisant.

Je ne vois rien jusqu’ici que d’heureux…
Je vois d’abord que le ciel la fit naître
D’un sang illustre… et cela devait être.
Oui, plus je lis, plus je bénis les cieux…
Quoi ! Laure a mis ce dépôt précieux
Entre vos mains ? Quoi ! Laure est donc sa mère ?

DIGNANT.

Oui.

LE MARQUIS.

Oui. Mais pourquoi lui serviez-vous de père ?
Indignement pourquoi la marier ?

DIGNANT.

J’en avais l’ordre ; et j’ai dû vous prier
En sa faveur… Sa mère infortunée
À l’indigence était abandonnée,
Ne subsistant que des nobles secours
Que, par mes mains, vous versiez tous les jours.

LE MARQUIS.

Il est trop vrai : je sais bien que mon père
Fut envers elle autrefois trop sévère…
Quel souvenir !… Que souvent nous voyons
D’affreux secrets dans d’illustres maisons !…
Je le savais : le père de Gernance
De Laure, hélas ! séduisit l’innocence ;
Et mes parents, par un zèle inhumain,
Avaient puni cet hymen clandestin.
Je lis, je tremble. Ah ! douleur trop amère !
Mon cher ami, quoi ! Gernance est son frère !

DIGNANT.

Tout est connu.

LE MARQUIS,

Tout est connu. Quoi ! c’est lui que je vois !
Ah ! ce sera pour la dernière fois…
Sachons dompter le courroux qui m’anime.
Il semble, ô ciel, qu’il connaisse son crime !
Que dans ses yeux je lis d’égarement !
Ah ! l’on n’est pas coupable impunément.
Comme il rougit, comme il pâlit… le traître !
À mes regards il tremble de paraître.
C’est quelque chose.