Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/77

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Il est bien vrai qu’Acanthe est assez belle…
Et de la grâce ! ah ! nul n’en a plus quelle…
Et de l’esprit !… Quoi ! dans le fond des bois !
Pour avoir vu Dormène quelquefois,
Que de progrès ! qu’il faut peu de culture
Pour seconder les dons de la nature !
J’estime Acanthe ; oui, je dois l’estimer ;
Mais, grâce au ciel, je suis très-loin d’aimer.

(Il s’assied à une table.)


Ah ! respirons. Voyons, sur toute chose,
Quel plan de vie enfin je me propose…
De ne dépendre en ces lieux que de moi,
De n’en sortir que pour servir mon roi,
De m’attacher par un sage hyménée
Une compagne agréable et bien née,
Pauvre de bien, mais riche de vertu,
Dont la noblesse et le sort abattu
À mes bienfaits doivent des jours prospères :
Dormène seule a tous ces caractères ;
Le ciel pour moi la réserve aujourd’hui.
Allons la voir… d’abord écrivons-lui
Un compliment… mais que puis-je lui dire ?

(En se cognant le front avec la main.)


Acanthe est là qui m’empêche d’écrire ;
Oui, je la vois : comment la fuir ! par où ?

(Il se relève.)

Qui se croit sage, ô ciel ! est un grand fou.
Achevons donc… Je me vaincrai sans doute.

(Il finit sa lettre.)


Holà ! quelqu’un… Je sais bien qu’il en coûte.


Scène II.



LE MARQUIS, un domestique.


LE MÀRQUIS.

Tenez, portez cette lettre à l’instant.

LE DOMESTIQUE.

Où ?

LE MARQUIS.

Où ? Chez Acanthe.

LE DOMESTIQUE.

Où ? Chez Acanthe. Acanthe ? mais vraiment…

LE MARQUIS.

Je n’ai point dit Acanthe ; c’est Dormène
À qui j’écris… On a bien de la peine
Avec ses gens… Tout le monde en ces lieux
Parle d’Acanthe ; et l’oreille et les yeux
Sont remplis d’elle, et brouillent ma mémoire.