Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/85

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J’ai commencé par des propos galants.
Je m’attendais aux communes alarmes,
Aux cris perçants, à la colère, aux larmes ;
Mais qu’ai-je ouï ! la fermeté, l’honneur,
L’air indigné, mais calme avec grandeur :
Tout ce qui fait respecter l’innocence
S’armait pour elle, et prenait sa défense.
J’ai recouru, dans ces premiers moments,
À l’art de plaire, aux égards séduisants,
Aux doux propos, à cette déférence
Qui fait souvent pardonner la licence ;
Mais pour réponse, Acanthe à deux genoux
M’a conjure de la rendre chez vous ;
Et c’est alors que ses yeux moins sévères
Ont répandu des pleurs involontaires.

LE MARQUIS.

Que dites-vous ?

LE CHEVALIER.

Que dites-vous ? Elle voulait en vain
Me les cacher de sa charmante main :
Dans cet état, sa grâce attendrissante
Enhardissait mon ardeur imprudente ;
Et, tout honteux de ma stupidité,
J’ai voulu prendre un peu de liberté.
Ciel ! comme elle a tancé ma hardiesse !
Oui, j’ai cru voir une chaste déesse,
Qui rejetait de son auguste autel
L’impur encens qu’offrait un criminel.

LE MARQUIS.

Ah ! poursuivez.

LE CHEVALIER.

Ah ! poursuivez. Comment se peut-il faire
Qu’ayant vécu presque dans la misère,
Dans la bassesse, et dans l’obscurité,
Elle ait cet air et cette dignité,
Ces sentiments, cet esprit, ce langage,
Je ne dis pas au-dessus du village,
De son état, de son nom, de son sang,
Mais convenable au plus illustre rang ?
Non, il n’est point de mère respectable
Qui, condamnant l’erreur d’un fils coupable,
Le rappelât avec plus de bonté
À la vertu dont il s’est écarté ;
N’employant point l’aigreur et la colère,
Fière et décente, et plus sage qu’austère.
De vous surtout elle a parlé longtemps…

LE MARQUIS.

De moi ?…

LE CHEVALIER.

De moi ?… Montrant à mes égarements
Votre vertu, qui devait, disait-elle,
Être à jamais ma honte ou mon modèle.
Tout interdit, plein d’un secret respect,
Que je n’avais senti qu’à son aspect,