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TROISIÈME DISCOURS.

DE L’ENVIE.

    Si l’homme est créé libre, il doit se gouverner ;
Si l’homme a des tyrans, il les doit détrôner[1].
On ne le sait que trop, ces tyrans sont les vices.
Le plus cruel de tous dans ses sombres caprices,
Le plus lâche à la fois et le plus acharné,
Qui plonge au fond du cœur un trait empoisonné,
Ce bourreau de l’esprit, quel est-il ? c’est l’envie.
L’orgueil lui donna l’être au sein de la folie ;
Rien ne peut l’adoucir, rien ne peut l’éclairer ;
Quoique enfant de l’orgueil, il craint de se montrer.
Le mérite étranger est un poids qui l’accable :
Semblable à ce géant si connu dans la fable,
Triste ennemi des dieux, par les dieux écrasé,
Lançant en vain les feux dont il est embrasé ;
Il blasphème, il s’agite en sa prison profonde ;
Il croit pouvoir donner des secousses au monde ;
Il fait trembler l’Etna dont il est oppressé :
L’Etna sur lui retombe, il en est terrassé.
    J’ai vu des courtisans, ivres de fausse gloire.
Détester dans Villars l’éclat de la victoire[2].
Ils haïssaient le bras qui faisait leur appui ;
Il combattait pour eux, ils parlaient contre lui.
Ce héros eut raison quand, cherchant les batailles.
Il disait à Louis : « Je ne crains que Versailles ;
Contre vos ennemis je marche sans effroi :
Défendez-moi des miens ; ils sont près de mon roi. »
    Cœurs jaloux ! à quels maux êtes-vous donc en proie ?

  1. Ces deux vers furent inscrits, en 1791, sur le chariot qui ramena les cendres de Voltaire à Paris. (G. A.)
  2. Voyez Siècle de Louis XIV, chap. xxiii.