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Traité ſur la Tolérance. Chap. XII.

proportionner aux temps & la population du Genre-humain ; c’eſt une gradation paternelle : mais ces abymes ſont trop profonds pour notre débile vue ; te-

    l’Écriture dit en cent endroits que l’âme, c’eſt-à-dire, ce qu’on appellait l’âme ſenſitive, eſt dans le ſang ; & cette idée ſi naturelle a été celle de tous les Peuples.

    C’eſt ſur cette idée qu’eſt fondée la commiſération que nous devons avoir pour les animaux. Des ſept Préceptes des Noachides, admis chez les Juifs, il y en a un qui défend de manger le membre d’un animal en vie. Ce précepte prouve que les hommes avaient eu la cruauté de mutiler les animaux pour manger leurs membres coupés, & qu’ils les laiſſaient vivre, pour ſe nourrir ſucceſſivement des parties de leur corps. Cette coutume ſubſiſta en effet chez quelques Peuples barbares, comme on le voit par les ſacrifices de l’Iſle de Chio, à Bacchus Omadios, le mangeur de chair crue. Dieu, en permettant que les animaux nous ſervent de pâture, recommande donc quelque humanité envers eux. Il faut convenir qu’il y a de la barbarie à les faire ſouffrir, & il n’y a certainement que l’uſage qui puiſſe diminuer en nous l’horreur naturelle d’égorger un animal que nous avons nourri de nos mains. Il y a toujours eu des Peuples qui s’en ſont fait un grand ſcrupule : ce ſcrupule dure encore dans la preſqu’Iſle de l’Inde ; toute la ſecte de Pithagore, en Italie & en Grèce, s’abſtint conſtamment de manger de la chair. Porphire, dans ſon Livre de l’abſtinence, reproche à ſon Diſciple de n’avoir quitté ſa ſecte que pour ſe livrer à ſon appétit barbare.

    Il faut, ce me ſemble, avoir renoncé à la lumière naturelle, pour oſer avancer que les bêtes ne ſont que des machines. Il y a une contradiction manifeſte à convenir que Dieu a donné aux bêtes tous les organes du ſenti-