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la légende dorée

Marthe, en particulier, on rapporte qu’elle était fort éloquente, et que tous l’aimaient.

Or il y avait à ce moment sur les bords du Rhône, dans une forêt sise entre Avignon et Arles, un dragon, mi-animal, mi-poisson, plus gros qu’un bœuf, plus long qu’un cheval, avec des dents aiguës comme des cornes, et de grandes ailes aux deux côtés du corps ; et ce monstre tuait tous les passagers et submergeait les bateaux. Il était venu par mer de la Galatie ; il avait pour parents le Léviathan, monstre à forme de serpent, qui habite les eaux, et l’Onagre, animal terrible que produit la Galatie, et qui brûle comme avec du feu tout ce qu’il touche. Or sainte Marthe, sur la prière du peuple, alla vers le dragon. L’ayant trouvé dans sa forêt, occupé à dévorer un homme, elle lui jeta de l’eau bénite, et lui montra une croix. Aussitôt le monstre, vaincu, se rangea comme un mouton près de la sainte, qui lui passa sa ceinture autour du cou et le conduisit au village voisin, où aussitôt le peuple le tua à coups de pierres et de lances. Et comme ce dragon était connu des habitants sous le nom de Tarasque, ce lieu, en souvenir de lui, prit le nom de Tarascon : il s’appelait jusque-là Nerluc, c’est-à-dire noir lac, à cause des sombres forêts qui y bordaient le fleuve. Et sainte Marthe, après avoir vaincu le dragon, obtint de sa sœur et du prêtre Maximin la permission de rester dans ce lieu, où elle ne cessa pas de prier et de jeûner, jusqu’à ce qu’enfin une grande congrégation de religieuses s’y réunît auprès d’elle, en même temps qu’une grande basilique fut construite en l’honneur de la vierge Marie. Et Marthe vivait là de la vie la plus dure, ne mangeant qu’une fois par jour, se privant de chair, de graisse, d’œufs, de fromage et de vin.

Un jour qu’elle prêchait à Avignon, au bord du Rhône, un jeune homme, qui se trouvait sur l’autre rive, eut un tel désir de l’entendre que, ne trouvant point de bateau pour traverser le fleuve, il ôta ses vêtements et voulut passer à la nage : mais aussitôt une vague l’entoura et l’étouffa. Son corps fut retrouvé le lendemain,