Page:Voragine - Légende dorée.djvu/658

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son troupeau. Il brillait aussi par son habileté à reconnaître les démons. Il les découvrait sous tous leurs déguisements, qu’ils prissent la forme de Jupiter, ou celle de Mercure, ou celle de Vénus ou de Minerve. Un jour le diable lui apparut sous la forme d’un roi, vêtu de pourpre, le diadème au front, et tout couvert d’or et de pierreries, avec un visage tranquille et souriant. Et il lui dit, après un long silence : « Martin, reconnais celui que tu adores ! Je suis le Christ ! Et, étant descendu sur la terre, c’est à toi, le premier, que j’ai voulu apparaître ! » Et comme Martin ne répondait toujours pas : « Martin, pourquoi hésites-tu à croire, puisque tu me vois ? Je suis le Christ ! » Alors le grand saint répondit : « Mon Seigneur Jésus, pour revenir sur la terre, ne se vêtirait point de pourpre, et ne mettrait pas un diadème sur son front ! » Sur quoi le démon disparut, remplissant de puanteur la cellule du saint.

Saint Martin connut et révéla longtemps d’avance le moment de sa mort. Un jour qu’il s’était rendu dans le diocèse de Candes, pour y apaiser une discorde, il sentit que les forces de son corps l’abandonnaient, et annonça à ses disciples que son heure approchait. Alors, les disciples, tout en larmes : « Père, pourquoi nous abandonnes-tu dans la désolation ? Car voici que les loups ravisseurs envahissent ton troupeau ! » Alors, touché de leurs larmes et de leurs prières, il pria ainsi : « Seigneur, si je suis encore nécessaire à ton peuple, je ne refuse point de poursuivre ma tâche ; que ta volonté soit faite ! » Mais il était fort en peine de savoir ce qu’il préférait, ne pouvant se résigner, ni à abandonner son troupeau, ni à retarder le moment de sa comparution devant le Christ. Et comme il souffrait de la fièvre, et que ses disciples le priaient de laisser mettre un peu de paille sur sa couche, il répondit : « Non, mes enfants, un chrétien ne doit mourir que sur des cendres ! » Il se tenait étendu sur le dos, les yeux et les bras levés vers le ciel ; et comme ses prêtres l’engageaient à alléger la fatigue de son corps en se couchant sur le côté : « Mes frères, laissez-moi regarder plutôt le ciel que la terre ! » Puis,