Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/118

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Entre l’intelligence de Liszt et la mienne, il existe une telle différence, et si essentielle, que souvent la difficulté et même, — me faut-il croire — l’impossibilité de me faire comprendre par lui me tourmente et me dispose à une amertume ironique. Mais ici l’affection entre en jeu, avec un tel désir de conciliation et d’apaisement, que je ne crois pour ainsi dire plus à des relations de chaude amitié entre hommes que s’il existe entre eux des différences de conceptions. Car ce sentiment amical est le seul qui puisse établir l’harmonie : les façons de penser ne concorderont jamais, à moins qu’il s’agisse d’êtres insignifiants et que leurs opinions soient fondées sur des lieux communs. Si elles sont au-dessus de ce niveau, plus originales, il ne saurait être vraiment question que d’une concordance logique et pratique des intelligences comme cela arrive dans les sphères scientifiques. La véritable amitié ne commence que là où elle aplanit, comme par une intervention supérieure, les divergences et fait qu’elles paraissent insignifiantes. J’ai ressenti cette impression agréable plusieurs fois déjà par Liszt. Cependant je ne puis nier qu’il soit préférable pour tous deux de ne point demeurer trop longtemps ensemble, car alors j’ai à craindre une révélation trop évidente de la différence qui existe entre nous. Nous gagnons beaucoup à rester éloignés l’un de l’autre. —

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