Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/157

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dehors, et ne parvient à saisir que ce qui lui est apporté en quelque sorte palpablement et sensiblement, ne pourra jamais comprendre cette situation du poëte en face de son monde expérimental à lui. Il ne pourra jamais s’expliquer la remarquable sûreté de ses créations autrement, qu’en croyant que celles-ci doivent être tombées sous son expérience, aussi directement que tout ce dont lui-même a conservé l’expérience dans sa mémoire.

De la manière la plus étonnante cette manifestation arrive à la perception chez moi-même. Mes conceptions poétiques devancent toujours les expériences conscientes qui s’en suivent, à tel point que je ne puis pour ainsi dire attribuer la nature de mon développement moral, ainsi que la direction qu’il a suivie, qu’à ces mêmes conceptions. Le Vaisseau Fantôme, Tannhäuser, Lohengrin, les Nibelungen, Wodan m’étaient tous présents à l’esprit avant d’entrer dans le domaine de ma conscience déterminée. En quels merveilleux rapports je suis maintenant avec Tristan, vous le sentez facilement. Je le dis en toute franchise, — parce que c’est une manifestation qui, si elle n’appartient pas au monde, appartient toutefois à l’esprit consacré, — jamais idée n’est parvenue à une conscience plus déterminée. En quelle mesure les deux se sont prédéterminées l’une l’autre est si subtil, si merveilleux, qu’une

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