Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/185

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magnifique. Non loin de là, je vis le St Etienne de Crespi : le beau martyr entre les deux hommes qui le lapident — réalisme et idéalisme si immédiatement proches l’un de l’autre, quelle allégorie profonde ! Je ne comprends pas comment ces sujets, si merveilleusement traités, n’ont pas toujours été considérés par tous comme le plus sublime apogée de l’art, tandis que de très-nombreuses personnes, même Gœthe, les considèrent comme contraires à l’essence de la peinture. C’est sans doute la plus grande gloire de l’art nouveau, d’avoir pu donner avec une vérité si positive, si saisissante et en même temps si belle, ce que la philosophie ne peut concevoir que négativement, sous forme de renoncement au monde. Je trouve toutes les figures heureuses de vivre, toutes les Vénus, pauvres et pitoyables, en comparaison de cette divine extase des martyrs expirants, telle que Van Dyck, Crespi, Raphaël et d’autres la représentent. Je ne vois rien de plus élevé, rien qui satisfasse plus profondément et qui soit plus sublime.

J’ai parcouru le Dôme de marbre ; je suis monté dessus. C’est grandiose jusqu’à l’ennui !

Et maintenant, je ne recevrai plus de lettres à Venise ! Le temps m’est favorable, et la neige du Gothard me ravivera. Bientôt je ne serai plus loin de vous. Je me promets beaucoup de Lucerne, et compte me récréer par des ex-

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