Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/60

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afin de reprendre goût à l’œuvre, à laquelle la destinée m’a voué une fois pour toutes, ce sera toujours pour moi le doux rayon de lumière qui là-bas entretiendra mes forces, la chère consolation qui m’appellera ici.

Et n’est-ce pas toi qui m’as conféré le plus haut bienfait de l’existence ? N’est-ce pas à toi que je suis redevable de l’unique chose, qui puisse encore me paraître digne de gratitude et d’intérêt en ce monde ? Et je ne chercherais pas à te récompenser pour ce que tu m’as conquis au prix de tels sacrifices, au prix de telles souffrances ?…

Mon enfant, ces derniers mois m’ont sensiblement blanchi les cheveux aux tempes ; en moi une voix appelle instamment le repos, ce repos que je faisais désirer, il y a de longues années, à mon Hollandais dans le Vaisseau Fantôme. C’est l’intense aspiration vers une patrie, vers un foyer, et non vers une jouissance exubérante de la vie passionnelle. Une femme fidèle et d’un dévouement splendide pouvait seule procurer cette patrie à mon héros. Vouons-nous à cette belle mort, qui enveloppe et apaise toutes ces aspirations, tous ces désirs ! Mourons bienheureux, avec un regard lumineux et calme, avec le divin sourire de la victoire bellement remportée ! Et nul ne doit pâtir quand nous sommes vainqueurs !

Adieu, cher ange bien-aimé !

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