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voyage et par mon installation ! Désormais, mon journal sera tenu régulièrement. — J’ai fait le trajet par le Simplon. Les montagnes, surtout la vallée de Wallis, me causèrent une sensation d’accablement. J’ai passé de beaux moments sur la terrasse de l’Isola Bella. C’était une admirable matinée ensoleillée. Je connaissais l’endroit et je congédiai immédiatement le jardinier, afin de rester seul. Un beau calme, une singulière élévation se firent en moi : c’était trop splendide pour que cela durât longtemps. Mais ce qui me transportait, ce qui était près de moi et en moi, cela persistait : le bonheur d’être aimé de toi !

J’ai simplement passé la nuit à Milan. Le 29 Août, dans l’après-midi, j’arrivai à Venise. Durant le parcours du Grand Canal jusqu’à la Piazzetta impression de grave mélancolie : grandeur, beauté et décadence, tout cela voisin l’un de l’autre. J’étais ravi, cependant, de songer qu’ici il n’y avait point de prospérité moderne, partant pas de turbulente trivialité. La place St Marc me fit une impression féerique. Un monde lointain, une époque vécue. Cette impression satisfait pleinement le désir de la solitude. Rien ne donne ici la sensation de la vie réelle : tout agit objectivement, comme une œuvre d’art. Je veux rester ici — et cette volonté s’accomplira. Le lendemain, après de longues incertitudes, j’ai fait choix d’un appar-

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