Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/88

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l’espèce, c’est-à-dire ne veut que vivre toujours de nouveau, recommencer de nouveau, largement, largement, à l’infini… L’individu, qu’elle charge de toutes les souffrances de la vie, ne lui est qu’un grain de sable dans cette immensité de l’espèce, grain qu’elle peut remplacer des milliers et des millions de fois, si elle tient plus que jamais à l’espèce ! Oh ! je n’aime pas entendre quelqu’un faire appel à la nature : les nobles cœurs, il est vrai, pensent toujours noblement et, dans leur appel, c’est encore eux-mêmes qui parlent ; la nature, par contre, est sans cœur, dépourvue de sentiment, et n’importe quel être égoïste, cruel même, peut l’invoquer avec plus de confiance et de certitude que l’être doué de sensibilité.

Que signifie donc maintenant une union de la sorte, que nous contractons pour toute la vie, en pleine jeunesse débordante, au premier appel de l’instinct propagateur ? Et combien rarement les parents deviennent sages par leur propre expérience ! Quand finalement ils ont échappé à la misère et trouvé le bien-être, ils oublient tout et, sans y songer davantage, laissent leurs enfants se précipiter dans la même voie ! — Cependant, il en est de cela comme de tout dans la nature : à l’individu elle prépare la misère, le désespoir et la mort ; seulement elle doit lui laisser la faculté de s’élever au-dessus de ces trois épreuves jusqu’à la conquête de la plus

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