Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/91

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moral et probablement est-elle aussi la source de mon art.

Ce qui caractérise la compassion, c’est qu’elle n’est affectée par aucun des aspects individuels du sujet souffrant, mais bien — et uniquement — par la souffrance observée en soi. En amour, il n’en est pas ainsi : là nous nous élevons jusqu’à la communauté absolue de la joie ; nous ne pouvons prendre part au bonheur d’une personne que si ses qualités spéciales nous sont au plus haut degré agréables et homogènes. Lorsqu’il s’agit de sujets ordinaires, ceci est plus vite et plus facilement possible, parce que l’instinct sexuel est pour ainsi dire exclusivement en cause. Plus élevée est la nature, plus difficile sera l’aboutissement à la communauté de la joie ; mais alors on touchera au sublime ! — Par contre, la compassion peut se porter sur l’être le plus ordinaire, le plus insignifiant, sur un être, qui, à part sa souffrance, n’éveille en nous aucune sympathie ; qui, même si nous considérons ce qui peut le rendre heureux, nous est décidément antipathique. La cause de ce fait est immensément plus profonde et, en l’apercevant, nous nous voyons élevés au-dessus des limites de l’individualité. Car notre compassion ne s’adresse qu’à la souffrance elle-même, abstraction faite de la personne.

Afin de s’émousser contre la force de la

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