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l’oreille, l’esprit et le cœur, saisissaient et percevaient tout en pleine vie, directement, voyaient en réalité, corporellement et spirituellement, tout ce que l’imagination eût été sans cela réduite à construire. Ces jours de tragédie étaient des fêtes divines, car le dieu s’exprimait alors clairement et distinctement : le poète était son grand prêtre, il s’incorporait réellement avec son œuvre, conduisait les danses, élevait la voix dans le chœur et en paroles sonores proclamait les sentences du savoir divin.

Voilà l’œuvre d’art grecque, voilà Apollon incarné dans un art réel, vivant — voilà le peuple grec dans sa vérité, dans sa beauté la plus haute.

Ce peuple, montrant en chacune de ses portions, en chacune de ses unités une individualité et une originalité surabondantes, incessamment actif, ne voyant dans le but d’une entreprise que le point de départ d’une entreprise nouvelle, éprouvant des froissements intérieurs continuels, faisant et défaisant chaque jour des alliances, chaque jour s’engageant dans d’autres luttes, réussissant aujourd’hui, échouant demain, menacé aujourd’hui par un péril extrême, accablant demain son ennemi jusqu’à l’anéantir, se développant à l’intérieur et à l’extérieur le plus constamment, le plus librement possible,— ce peuple refluait