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nous suffit d’éprouver honnêtement le contenu et l’action publique de notre art, et particulièrement de l’art théâtral, pour reconnaître en lui comme en un miroir fidèle, l’esprit dominant de la généralité ; car l’art public fut toujours un miroir fidèle.

Et ainsi nous ne reconnaissons en aucune manière dans notre art théâtral public le véritable drame, cette œuvre d’art unique, indivisible, la plus grande de l’esprit humain ; notre théâtre offre simplement le lieu adapté à la représentation séduisante de productions isolées, à peine relices superficiellement, artistiques ou mieux artistes. Combien notre théâtre est incapable d’opérer dans un drame véritable l’union de toutes les branches de l’Art sous la forme la plus haute, la plus accomplie, apparaît déjà dans sa division en deux genres : le drame et l’opéra, par laquelle on enlève au drame l’expression idéalisante de la musique, et l’on refuse de prime abord à l’opéra l’essence et la haute portée du véritable drame. Tandis que en général le drame ne pouvait ainsi jamais prendre un essor poétique, idéal, mais — sans même mentionner l’influence, négligeable ici, d’une publicité immorale — devait par le fait même de la pauvreté de ses moyens d’expression tomber des hauteurs dans les bas-fonds, de l’élément réchauffant de la passion à l’élément refroidissant de l’intrigue.