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notre mauvaise conscience place notre théâtre si bas dans l’estime publique, qu’il peut entrer dans les attributions de la police d’interdire au théâtre de s’occuper en quoi que ce soit de choses religieuses, ce qui est également caractéristique pour notre religion et pour notre art. Dans le vaste espace de l’amphithéâtre grec le peuple entier assistait aux représentations ; dans nos théâtres distingués paresse seulement la portion fortunée du peuple. Ses instruments d’art, le Grec les tirait des produits de la plus haute culture sociale ; nous les tirons des produits de la plus profonde barbarie sociale. L’éducation du Grec faisait de lui, corps et âme, des sa plus tendre jeunesse un objet de développements et de jouissance artistiques ; notre éducation stupide, restreinte le plus souvent en vue des seuls profits industriels à venir, nous donne la sotte et pourtant orgueilleuse satisfaction de notre inaptitude artistique, et nous fait chercher les objets de toute distraction artistique hors de nous-mêmes, avec un désir semblable à celui du débauché qui recherche une jouissance passagère auprès d’une prostituée.

Le Grec était lui-même acteur, chanteur et danseur ; par sa participation à la représentation d’une tragédie il prenait le plus grand plaisir à l’œuvre d’art même, et il considérait à juste titre comme une distinction d’être