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profond écrasement, deux cents millions d’hommes, jetés sauvagement pêle mêle dans l’empire romain devaient bientôt éprouver que tous les hommes doivent être également esclaves et misérables, dès que tous les hommes ne peuvent être également libres et heureux.

Ainsi donc nous sommes encore aujourd’hui esclaves, mais avec la consolation de savoir que nous sommes tous également esclaves : esclaves auxquels autrefois des apôtres chrétiens et l’empereur Constantin conseillaient de sacrifier patiemment un misérable ici-bas à un au-delà meilleur ; esclaves auxquels aujourd’hui des banquiers et des propriétaires de fabrique apprennent à chercher le but de l’existence dans le métier exercé pour gagner le pain quotidien. Libre de cet esclavage se sentait à son époque seul l’empereur Constantin, qui, en sensuel despote païen, disposait de la vie terrestre de ses bénévoles sujets, de cette vie qu’on leur représentait comme inutile ; libre, au moins dans le sens de l’esclavage public, se sent aujourd’hui seul celui qui a de l’argent, car il peut à son gré passer sa vie à faire autre chose que gagner sa vie. Si l’effort fait pour se libérer de l’esclavage général se manifestait dans le monde romain et au moyen âge sous forme de désir du pouvoir absolu, il apparaît aujourd’hui comme soif de l’or ; ne