Aller au contenu

Page:Wagner - Quinze Lettres, 1894, trad. Staps.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout à fait seuls. Si je voulais, me dit-on, la cour tout entière me serait ouverte : Il ne me comprendrait pas si j’ambitionnais d’y jouer un rôle. Tout est si beau, si vrai ! — Comme il me sera facile, de cette façon, de calmer toutes les appréhensions : on ne me remarque pas, je n’empiète sur les droits de personne ; tout ce que nous méprisons tous deux du fond du cœur, poursuit tranquillement sa route, nous ne nous en soucions pas. Peu à peu tous m’aimeront. Déjà l’entourage immédiat du jeune roi est heureux de me voir et de me savoir ainsi, parce que chacun sent que ma prodigieuse influence sur l’esprit du prince ne peut que faire du bien à tous et ne fera de mal à personne. De sorte que, de jour en jour, tout en nous et autour de nous deviendra plus beau et meilleur ! —

Tel est mon bonheur, amie ! Doutez-vous que ce soit le vrai ? Le vrai, oui, — ce devait être le vrai : vous verrez à présent comme il durera et comme tout prospérera. Ne doutez pas ! —


(Écrit quelques jours plus tard.)

Si jamais quelque chose dans ma vie m’a désespérément démoralisé et navré, c’est une faculté que possède « le monde » et contre laquelle nous ne pouvons absolument rien. C’est l’outrecuidance qu’il y a au fond de l’âme des philistins à propos de « leur sagesse pratique » et leur complaisante présomption, vis-à-vis des rares esprits profonds et incompris, à se croire seuls prudents et seuls sages. Cette abominable sagacité, cette risible incapacité de comprendre et d’apprécier à leur juste valeur