Page:Wagner - Quinze Lettres, 1894, trad. Staps.djvu/134

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rayonnant de fierté et de satisfaction. Huit jours après je volais à Dresde pour assister à son enterrement : la goutte volante, voilà le nom du démon qui lui a sauté du genou au cerveau. Il gisait là. — Depuis lors, tout est triste pour moi. J’ai été seul dans les hautes montagnes et maintenant, je suis seul ici. Je ne puis plus parler à personne et l’on me croit toujours en voyage. Le merveilleux amour du roi me tient en vie : il a soin de moi comme jamais homme n’a eu soin d’autrui. Je revis en lui et je veux encore lui créer mes œuvres. Pour moi-même, je ne vis vraiment plus. Mais il éloigne de moi tout ce qui me rappelle la vie et la réalité : je ne puis plus que rêver et créer.

Voilà ce qui est et ce qui sera. Mon ardeur au travail engloutit toute ma pensée. J’achève à présent les Nibelungen : un Parsifal est déjà ébauché. Tout est étrange comme dans un rêve : sinon, tout serait mortellement douloureux.

Maintenant donnez-moi de vos nouvelles. — Mille amitiés, chère, intime amie ! Vous souvenez-vous encore de vos prophéties ? Non, ce n’était pas là la cause : ce qui pouvait être accompli, a été accompli, comme jamais rien ne l’a été, — mieux que le plus beau des rêves. Et vous n’avez pas même voulu approcher du lieu de ce rêve ?

Que tout soit salué du fond du cœur par

Votre
Richard Wagner.