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colliberts.

ne pouvait en tirer une seule parole : les enfants des campagnes sont si sauvages, lorsqu’ils se trouvent avec des personnes mieux mises qu’eux, que les petits malheureux resteraient plutôt sans manger que d’ouvrir la bouche pour parler. Il faut bien du temps pour vaincre cette extrême timidité.

— Jeanne, dit le vieillard, parle donc à ce jeune monsieur, il ne te fera pas de mal, va.

L’enfant baissa sa jolie petite tête, et chercha à descendre des genoux du jeune monsieur. Pierre la laisse aller : elle se réfugia dans les jambes de sa mère, qui, étendant sa main sur elle, la caressa en tâchant de lui sourire ; mais au lieu d’un sourire ce furent deux larmes qui tombèrent de ses yeux fermés : la pauvre mère ne pouvait s’habituer à ne plus voir ses enfants. Lorsqu’ils eurent bien mangé et qu’ils se furent reposés plus d’une heure, ils se levèrent pour partir.

— Et où allez-vous aller ? leur dit le curé.

— Où Dieu nous conduira, répondit le vieillard.

— Hélas ! mes pauvres enfants, repris le curé, la terre est bien grande et vos jambes ne sauraient aller loin.

— Il n’est que trop vrai, dit le vieillard en branlant la tête, mais que faire ? Nous n’avons plus que la terre pour plancher, le ciel pour toit, et la pitié des hommes pour nous vêtir et nous nourrir. S’il plaît à Dieu, il me retirera bientôt à lui, ainsi que ma pauvre fille ; mais voilà trois innocents qui seront abandonnés alors, et il faut que nous désirions de vivre pour eux.

Durant ce discours, qui avait été entrecoupé de bien des soupirs, le fermier et sa femme échangeaient de fréquents regards et semblaient se consulter entre eux.

— Bon homme, dit enfin le fermier, en arrêtant par la main le vieillard prêt à passer le seuil de sa porte, il est