Page:Walter - Voyage autour du monde fait dans les années 1740, 1, 2, 3, 4, 1749.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vergues et de raccomoder nos agrés du mieux que nous pumes : mais nous ne vimes pas un de nos Vaisseaux ; et aucun d’eux ne nous rejoignit qu’après notre arrivée à Juan Frenandez. Nous avons même appris dans la suite, qu’il n’y eut pas deux Vaisseaux de toute l’Escadre, qui restassent ensemble ; et cette séparation totale étoit d’autant plus surprenante, que nous avions jusqu’alors navigé de compagnie, pendant sept semaines de tempêtes continuelles dans ce terrible Climat. Cette séparation nous donnoit lieu d’espérer que nous en ferions plus vite le reste du passage, n’ayant qu’à poursuivre notre cours sans être retardés par les accidens des autres Vaisseaux ; mais en revanche nous étions obligés de faire la triste réflexion, que nous n’avions aucun secours à attendre, et que toutes nos ressources se trouvoient dans notre seul Vaisseau. Une Planche qui auroit sauté, ou quelque autre accident nous auroit fait périr inévitablement ; si nous faisions naufrage, nous ne pouvions nous attendre qu’à finir nos jours sur quelque rivage inhabité, sans aucune espérance raisonnable de nous en jamais tirer. Quand on vogue en compagnie de quelques Vaisseaux tous malheurs sont bien moins terribles, quoiqu’il arrive ; il est au moins probable qu’un des Vaisseaux pourra échapper et servir d’azile à l’Equipage de l’autre.

Pendant le reste du mois d’Avril, nous eumes des vents violens, quoique nous eussions toujours porté au Nord, depuis le 22. Enfin, le dernier du mois, nous eumes lieu d’espérer de voir bientôt la fin de ces souffrances ; car nous nous trouvames à la Latitude de 52° 13’, c’est-à-dire au Nord des Détroits de Magellan. Nous étions donc assuré d’avoir fait notre passage et d’être prêts d’entrer dans la Mer Pacifique. Ce nom qui lui a été donné à cause de l’égalité des saisons qui y règnent, et de la facilité et de la sureté avec laquelle on y navige, ne nous promettoit que des vents modérés, une Mer tranquille, un air tempéré, et tous les autres avantages par où on la distingue des autres parties de l’Océan. Enfin nous nous attentions à autant d’agrémens que nous avions essuyé de misères : mais nous fumes encore en ceci la dupe de nos espérances. Pendant tout le cours du mois de Mai, nos souffrances furent encore augmentées au-dela de ce que nous avions éprouvé auparavant, les tempêtes furent tout aussi violentes, nos voiles et nos agrés ne souffrirent pas moins, notre Equipage diminuoit et s’affaiblissoit de plus en plus par les maladies et par la mortalité : enfin, jamais nous ne fumes si près de notre totale destruction, comme il paroitra par le détail circonstancié que je vais faire de nos malheurs.