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misères, plus cruelles même que celles des Prisons du Méxique. Il fallut les aider à entrer dans le Vaisseau : on les mit d’abord dans des lits, et au bout de quelque tems, que le repos et la bonne nourriture leur eurent rendu assez de forces, ils nous firent le récit de leurs avantures. Ils avoient toujours tenu la Mer depuis qu’ils nous avoient quittés, c’est-à-dire, pendant six semaines. Après avoir fini le tems qu’ils devoient croiser devant Acapulco comme ils portoient vers l’Ouest, pour nous rejoindre, un Courant violent, les avoit jettés à l’Est, malgré tous leurs efforts, et l’eau venant à leur manquer, ils avoient été contraints de ranger la Côte, vers l’Est, pour chercher un lieu de débarquement, où ils pussent faire de l’eau. Dans cette extrémité, ils coururent quatre-vingts lieues sous le vent, et trouvèrent que la Mer brisoit tellement sur toute cette Côte, qu’il étoit absolument impossible d’y aborder. Ils passèrent plusieurs jours dans cette terrible situation, sans eau, dans un Climat d’une chaleur insupportable, et n’ayant d’autre moyen pour s’empêcher de mourir de soif, que de succer le sang des Tortues, qu’ils prenoient : tant qu’enfin ils s’étoient déja abandonnés au désespoir, et ne s’attendoient plus qu’à la plus cruelle de toutes les morts, lorsqu’ils furent subitement délivrés de ce péril par des pluye des plus abondantes. Ils étendirent leurs voiles horizontalement, et y mirent des boulets au milieu, pour leur faire prendre la figure d’un entonnoir, et par ce moyen ils eurent assez d’eau, pour en remplir leurs Futailles. Ils portèrent après cela vers l’Ouest, pour nous chercher, et furent si favorisés par les courans qu’ils nous rejoignirent en moins de cinquante heures, à compter du moment qu’ils tournèrent vers l’Ouest, après une absence de quarante-trois jours. Ce retour peut être regardé comme une espèce de miracle, quand on considère ce que c’est qu’un Canot d’un Vaisseau de soixante pièces, c’est-à-dire, un petit Bâtiment de vingt et deux pieds de long et non ponté, exposé pendant six semaines à tant de dangers dans la grande Mer, et vis-à-vis d’une Côte impratiquable et très dangereuse.

A propos de cette navigation de notre Canot, je ne puis m’empêcher de remarquer le peu de fond qu’on peut faire sur les Auteurs qui nous ont donné le récit des Avantures des Flibustiers. Nos Gens ne trouvèrent pas un seul endroit, où ils pussent aborder, en quatre-vingt lieues de Côtes à l’Est d’Acapulco, et ces Auteurs n’ont pas eu honte de placer des Ports et des Aiguades dans cette étendue, sans s’embarasser s’ils exposoient à périr de soif, ceux qui auroient la facilité de s’en fier à leur parole.