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— Peut-être pourrais-je confier ces papiers à quelqu’un, pour m’aider dans mes recherches ; mais à qui ? je ne connais personne. Il faudrait que ce fut quelqu’un, ayant quelques affinités avec des détectives. Enfin espérons ! Si au moins Ben arrivait !

Et pour la vingtième fois, depuis le matin, Jenny retourna encore à la fenêtre ; et ne voyant rien, elle se décida enfin à travailler, en poussant un gros soupir. « Le temps me paraîtra moins long, dit-elle ; et puis, il faut bien vivre ; cette robe doit être reportée demain. Allons, courage, Jenny. » Et le bruit régulier de la machine joint au coucou domestique recommencèrent à animer la chambrette.

Ce qui frappait, au premier abord, dans cette jeune fille, c’était sa condition modeste d’ouvrière, si peu en rapport avec ce je ne sais quoi de distingué et d’aristocratique qui marquait d’un sceau spécial ses moindres mouvements. C’était, à n’en pas douter, du sang bleu qui coulait dans ses veines. Elle était aimée de tout le monde. Sa réserve sans fierté, son affabilité sans familiarité, sa bonté sans afféterie, et sa gaîté retenue et discrète la faisaient aimer et respecter de tous. Elle avait d’ailleurs une assez belle clientèle et gagnait aisément de quoi satisfaire à ses besoins. Plusieurs des dames de la plus haute société se faisaient habiller par elle ; et plus d’une avait fait en secret la réflexion que cette petite couturière ne serait pas déplacée dans le plus grand salon de Montréal, et que la question de fortune était la seule différence qu’il y eût entre elles. Mais laissons Jenny à son travail et à ses réflexions, et voyons un peu ce qui avait empêché Ben d’accourir comme d’habitude auprès de sa gentille amie.

CHAPITRE III
DE L’INCONVÉNIENT DE SUIVRE UN INCONNU DANS UNE RUE DÉSERTE

Le lecteur se souvient qu’en sortant de l’hôtel St. André, Lafortune et Ben, après un court échange de paroles, s’étaient