Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/179

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de temps peut-être, ce privilège extraordinaire qu’étant dans une large mesure symbolique il lui est permis de faire rayonner les inspirations les plus élevées sans discrédit pour elles ni inconvenance de sa part.

Ainsi de l’irréalité même dont il est atteint dès l’origine — à cause de l’isolement primitif de ceux qui l’ont lancé — il peut tirer, s’il sait en faire usage, une bien plus grande plénitude de réalité.

« L’efficacité est rendue parfaite dans la faiblesse », dit saint Paul.

C’est un singulier aveuglement qui a causé, dans une situation pleine de possibilités aussi merveilleuses, le désir de descendre à la situation banale, vulgaire, d’un gouvernement d’émigrés. Il est providentiel que ce désir n’ait pas été satisfait.

À l’égard de l’étranger, d’ailleurs, les avantages de la situation sont analogues.

Depuis 1789, la France a en fait parmi les nations une position unique. C’est quelque chose de récent ; 1789 n’est pas loin. De la fin du xive siècle, époque des répressions féroces accomplies dans les villes flamandes et françaises par Charles VI enfant, jusqu’en 1789, la France n’avait guère représenté aux yeux de l’étranger, du point de vue politique, que la tyrannie de l’absolutisme et la servilité des sujets. Quand du Bellay écrivait : « France, mère des arts, des armes et des lois », le dernier mot était de trop ; comme Montesquieu l’a très bien montré, comme Retz avant lui l’avait expliqué avec une lucidité géniale, il n’y avait pas du tout de lois en France depuis la mort de Charles VI. De 1715 à 1789, la France s’est mise à l’école de l’Angleterre avec une ferveur pleine d’humilité. Les Anglais semblaient alors être seuls dignes du nom de citoyens au milieu de populations esclaves. Mais après 1792, quand la France, après avoir remué le cœur de tous les opprimés, se trouva engagée dans une guerre où elle avait l’Angleterre pour ennemie, tout le prestige des idées de justice et de liberté fut concentré sur elle. Il en est résulté pour le peuple français au cours du siècle suivant une espèce d’exaltation que les autres peuples n’ont pas connue, et dont ils ont reçu de lui le rayonnement.

La Révolution Française a correspondu, malheureusement