Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/166

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Ainsi la notion ordinaire de miracle est une espèce d’impiété (un fait qui n’aurait pas de cause seconde, mais seulement une cause première).

La distance entre le nécessaire et le bien est la distance même entre la créature et le créateur.

La distance entre le nécessaire et le bien. À contempler sans fin. La grande découverte de la Grèce. La chute de Troie leur avait sans doute appris cela.

Tout essai de justification du mal par autre chose que par : cela est, est une faute contre cette vérité.

Nous n’aspirons qu’à rejeter l’intolérable fardeau du couple bien-mal, fardeau assumé par Adam et Ève.

Pour cela, il faut ou confondre « l’essence du nécessaire et celle du bien » ou sortir de ce monde.

Pour purifier le mal, il n’y a que Dieu ou la bête sociale. La pureté purifie le mal. La force aussi, tout autrement. À qui peut tout, tout est permis. Qui sert un tout-puissant, peut tout en lui. La force délivre du couple des contraires bien-mal. Elle délivre qui l’exerce, et même aussi qui la subit. Un maître a toute licence, un esclave aussi. L’épée, à la poignée et à la pointe, délivre de l’obligation qui est le poids intolérable. La grâce en délivre aussi, mais on n’y va que par l’obligation.

On n’échappe à la limite qu’en montant vers l’unité ou en descendant vers l’illimité.