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Cri de la souffrance : pourquoi ? Résonne dans toute l’Iliade.

Expliquer la souffrance, c’est la consoler ; il ne faut donc pas qu’elle soit expliquée.

D’où la valeur éminente de la souffrance des innocents. Elle ressemble à l’acceptation du mal dans la création par Dieu qui est innocent.

Le caractère irréductible de la souffrance qui fait qu’on ne peut pas ne pas en avoir horreur au moment où on la subit a pour destination d’arrêter la volonté, comme l’absurdité arrête l’intelligence, comme l’absence arrête l’amour, afin qu’arrivé au bout des facultés humaines l’homme tende les bras, s’arrête, regarde et attende.

« Il se rit du malheur des innocents. » Silence de Dieu. Les bruits d’ici-bas imitent ce silence. Ils ne veulent rien dire.

C’est quand nous avons besoin jusqu’au fond des entrailles d’un bruit qui veuille dire quelque chose, quand nous crions pour obtenir une réponse et qu’elle ne nous est pas accordée, c’est là que nous touchons le silence de Dieu.

D’habitude notre imagination met des mots dans les bruits comme on joue paresseusement à voir des formes dans des fumées. Mais quand nous sommes trop épuisés, quand nous n’avons plus le courage de jouer, alors il nous faut de vrais mots. Nous crions pour en avoir. Le cri nous déchire les entrailles. Nous n’obtenons que le silence.